Des habitants de Gaza sauvés par une juive américaine

©Mathieu Paillard
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©Mathieu Paillard

Des habitants de Gaza sauvés par une juive américaine

Amira Souilem, correspondante en Cisjordanie
1 juillet 2025
HUMANITAIRE
Un jeune Palestinien installé en Egypte et une juive américaine dans la trentaine ont sauvé des vies à Gaza dans la discrétion la plus totale. Une histoire qui nous emmène au Caire, à Gaza et à Brooklyn. Récit.

Tout commence en février 2024 au Caire. En visite dans la capitale égyptienne, je rencontre Marwan*, palestinien, la trentaine, look de surfeur, jeune ingénieur en informatique. Préoccupé par les bombardements incessants de l’aviation israélienne sur Gaza, le jeune homme coordonne, à distance, des actions humanitaires. Sur internet, il lève des fonds pour acheter des tentes. Avec l’argent qui afflue, il décide de financer l’évacuation de Gazaouis de l’enclave assiégée. Ces sorties se font alors via une agence égyptienne qui exige environ 5000 euros par personne. Israël valide au préalable les listes de celles et ceux qui peuvent sortir. La somme nécessaire se révèle colossale pour les familles nombreuses de Gaza.

Bienfaiteurs inattendus

Grâce à la magie des réseaux sociaux, Marwan trouve des bienfaiteurs inattendus. A l’autre bout de la planète, à Brooklyn, une amie d’amis lit ses posts en ligne et décide d’agir pour arracher à la mort des familles de Gaza. Elle aussi a une trentaine d’années. Elle s’appelle Hanna. Elle est juive et vit mal le fait de voir sa religion dévoyée par un gouvernement israélien qui l’instrumentalise à des fins politiques. La jeune femme met alors toute son énergie à collecter le plus d’argent possible, soit 35 000 euros. La plupart des donateurs sont issus de son cercle familial et amical. Pour beaucoup, ils sont juifs comme elle et répondent à un précepte juif : «tikkun olam » ou «réparer le monde ». Cet argent va servir notamment à exfiltrer neuf personnes de l’enfer gazaoui. Jointe par téléphone, Hanna s’amuse que l’on s’intéresse à son élan de générosité.

C’est à mon tour d’agir

Elle n’a fait que son devoir, insiste-t-elle, avant de dérouler son arbre généalogique : «Je descends d’Ukrainiens juifs qui ont subi des pogroms en Ukraine au début du XXe siècle. Nous sommes vivants parce que des personnes ont été bonnes avec mes ancêtres. Je pense que cela nous oblige. J’estime que c’est à mon tour d’agir de la sorte. C’est une chance de pouvoir le faire. Je ne pourrai pas à moi seule mettre fin à l’occupation des territoires palestiniens ni à l’apartheid, je le sais. »

Son histoire familiale lui a légué la conviction qu’elle doit agir, à son échelle, pour aider les personnes dans le besoin. Et citant un précepte du judaïsme, elle ajoute «kol adam olam um lo’o », «chaque personne est un univers ». Faire sa part. Sauver ce qui peut l’être. Malgré les entraves et alors que la solidarité envers les Palestiniens peut valoir des poursuites pour financement du terrorisme aux Etats-Unis, elle tente de trouver des moyens de tromper la surveillance des autorités.

Ne pas attirer l’attention des banques 

La somme qu’elle a réussi à lever pour Gaza, elle l’enverra en dix virements pour ne pas attirer l’attention des banques. Parmi les Gazaouis qui ont bénéficié des fonds qu’Hanna a levés, il y a Sofiane*. Lui aussi travaille dans le domaine des nouvelles technologies. Déplacé quatre fois avec sa femme et sa petite fille, il fait le choix de quitter l’enclave le 7 février 2024. Son épouse est alors enceinte de leur second enfant. Le jour programmé de leur départ restera à jamais dans sa mémoire, nous raconte-t-il depuis Boston, où il est désormais établi.

Sa femme accouchera d’une petite fille quatre heures seulement avant le passage de la frontière. S’il a appris que des bienfaiteurs ont financé leur sortie, il ne savait rien de leur identité. Nous lui révélons les coulisses de son évacuation. Emu de savoir qu’il a été sauvé par des juifs établis dans le pays où il habite désormais, il est bouleversé d’apprendre que sa bonne fée s’appelle Hanna. Il précise aussitôt que sa cadette miraculée se prénomme, elle, Ann. Il n’a qu’une hâte dorénavant. Qu’Ann et Hanna puissent se rencontrer.