Le pardon, un cheminement transformateur
Pierre-Yves Brandt, professeur de psychologie de la religion, Université de Lausanne
Reconnaître une faute, celle que l’on a commise comme celle que l’on a subie, n’est pas toujours une évidence, constate Pierre-Yves Brandt. A la fois psychologue et théologien, il pointe plusieurs raisons qui peuvent empêcher un cheminement vers le pardon. «Il ne faut pas s’attribuer la faute de l’autre. Dans les situations d’abus ou de maltraitance, si la personne victime commence à s’accuser de ce qui lui est arrivé, elle peut aller jusqu’à demander pardon. Et pour peu qu’elle trouve en face d’elle quelqu’un – un thérapeute, un prêtre ou un pasteur – qui procède à un accompagnement de la faute sans qu’il y ait un véritable travail sur ‹quelle est ma part?›, ‹quelle est la part de l’autre?›, on risque d’avoir des nœuds qui se rajoutent aux souffrances existantes.»
Parfois, l’autre ne reconnaît pas que vous lui avez fait du tort. «Par exemple, dans une relation parents-enfants, des enfants peuvent tout excuser pour ne pas devoir entrer dans le travail coûteux de désidéalisation de la figure parentale.» Ou en cas de deuil, «il n’y a pas forcément une adéquation directe entre la faute, s’il y en a une, et le sentiment d’être responsable: on se reproche de ne pas avoir fait tout ce que l’on aurait pu pour la personne, ou de ne pas avoir écouté un pressentiment avant un accident. Certains processus psychologiques nous poussent à nous attribuer un pouvoir de modifier les choses, car il est plus facile de donner du sens à un événement tragique que d’accepter que cela n’en avait pas». Le contraire est aussi possible. «Des gens qui se font les propres justiciers des torts qu’ils pensent qu’on leur a causés et ne se sentent pas coupables, même si la justice les reprend», énumère le chercheur.
Le risque d’un pardon vite fait
«Le pardon rééquilibre les choses, permet d’archiver des situations où il y avait quelque chose à remettre en ordre. Le risque est de dire ‹on saute tout de suite au pardon, comme ça, c’est fait›. Mais s’il y a quelque chose de lourd qui reste, il faut reconnaître qu’un pardon vite fait ne pardonne rien», prévient Pierre-Yves Brandt. Le travail de discernement doit avoir lieu.
Certes, «l’enseignement de Jésus présente un Dieu qui ne retient pas la faute éternellement. Le pardon est promis», rappelle le théologien, «mais dans le Nouveau Testament, quand Jésus parle du pardon, il y a toujours une évaluation de son efficacité. Le pardon doit conduire à des changements. La manière dont on le reçoit doit se traduire dans la manière dont on le donne». «En cas de violences conjugales, on peut croire qu’être chrétien consiste à dire ‹je te pardonne›, mais si l’autre ne s’engage pas à faire quelque chose pour que ça change, est-ce que le pardon soulage vraiment?»
Une valeur universelle
Le pardon peut prendre plusieurs formes. «Dans la représentation qui est la nôtre, l’être humain est responsable individuellement de ses actes. Dans d’autres représentations culturelles, lorsqu’un dommage est causé, c’est tout un groupe qui peut être honteux de son incapacité de gérer les choses et la réparation passera par une ritualisation ou une négociation qui implique tout le groupe d’appartenance.»
Malgré ces différences, la nécessité du pardon reste une valeur universelle. «Dans des thérapies de couple ou de famille, les praticiens introduisent l’accompagnement d’un chemin qui va jusqu’au pardon, en disant que le pardon n’est pas forcément lié à une tradition religieuse. C’est d’abord une certaine manière de gérer la relation qui peut être endossée. Si ce n’est pas religieux, cela peut être philosophique ou moral.»
Pour aller plus loin
Pierre-Yves Brandt recommande Le Sacrifice interdit. Freud et la Bible, Marie Balmary, Grasset, 1986.
«Dans ce livre, elle rappelle par exemple que quelques lignes avant le ‹tu aimeras ton prochain comme toi-même› du Lévitique, il est précisé ‹tu auras soin de reprendre ton prochain.›»