L’orgue fait sa rockstar pour la Nuit des Eglises
Et si l’orgue faisait vibrer autre chose que les cultes du dimanche? Le 23 mai, à l’occasion de la 5e édition suisse de la Nuit des Églises, les basiliques et autres lieux de culte romands vont s’animer d’activités nocturnes aussi ludiques qu’inattendues. Au temple Farel de La Chaux-de-Fonds, un «blind test à l’orgue» sera interprété par Alice Rosselet, lors d’une grande soirée jeux agrémentée d’un parcours méditatif. C’est le diacre Gaël Letare, employé de l’Église réformée évangélique neuchâteloise (EREN), qui a programmé la musicienne: «Avec Alice, on ne s’ennuie jamais. Elle peut glisser du Jacques Brel dans un culte ou jouer un chant de Noël en plein été.» Parfois «clivante pour certains paroissiens», Alice Rosselet, la septantaine pétillante, s’amuse à sortir l’orgue des sentiers battus. À quelques jours de sa performance, cette Chaudefonnière, qui s’est notamment produite au Radio City Music Hall à New-York, a accepté de répondre à des questions profanes sur son instrument méconnu. Interview.
Au temple Farel, vous jouerez sur un instrument réalisé par le facteur d’orgue Kuhn, qui a également construit celui de l’Eglise Saint-François à Lausanne. Est-ce la «Rolls» des orgues?
Les orgues ont tous leur charme. Celui du temple Farel a une voix très particulière, très belle. Il raconte bien les histoires.
Justement, quelles histoires comptez-vous raconter lors de ce «blind test»?
Avec l’orgue, c’est comme si on pouvait jouer tous les instruments de l’orchestre. Je montrerai donc au public ce qu’est une trompette, un hautbois, une bombarde… Je présenterai également aux visiteurs un des «jeux» de l’orgue qu’on appelle communément la «voix céleste». On pourrait imaginer quelque chose d’assez rugueux, masculin… Mais il s’agit plutôt de quelque chose comme la voix d’un ange. C’est très doux, moelleux.
Et quels titres connus ferez-vous deviner au public? Il paraît que vous aimez le rock…
Il y aura beaucoup de choses, et de tous les genres. Je vais notamment jouer des titres issus de la comédie musicale Jesus Christ Superstar. Je jouerai aussi du Dire Straits, Indochine, et même l’hymne du Vatican, puisque le nouveau pape a récemment été choisi et que cela réjouit les gens, même dans les temples protestants!
Justement: votre but, dans la vie, c’est de faire découvrir cet instrument au plus grand nombre?
Oui. Que les gens aiment l’orgue, qu’ils lui reconnaissant une voix et pas seulement un statut d’instrument poussiéreux. Quand on joue à l’église, on exprime quelque chose de personnel, pas seulement le répertoire imposé. Il faut sortir de cette idée que l’orgue est réservé à César Franck ou à Jean-Sébastien Bach. D’autant qu’avec l’orgue, on peut tout faire, même de la cornemuse!
Y a-t-il encore des jeunes gens qui choisissent d’étudier l’orgue en Suisse?
Très peu. Et ceux qui s’y intéressent apprennent un répertoire ancien, mais pas la musique actuelle. C’est dommage. Ils sont en retard. Certains se contentent aussi de jouer de façon assez rudimentaire, alors que l’orgue, c’est un orchestre. Il faut penser orchestralement. L’orgue doit surprendre: ce n’est pas juste un instrument liturgique destiné à boucher les silences pendant le culte.
Personnellement, pourquoi avez-vous vous choisi l’orgue?
Quand je suis arrivée à New-York je travaillais comme pianiste. J’ai reçu un dollar de l’heure pour accompagner un opéra. La même semaine, j’ai joué lors d’une messe et j’ai été payée 25 dollars. J’ai compris que pour gagner ma vie aux Etats-Unis et à mon niveau, l’orgue était plus rentable, surtout à l’église.
En Suisse, est-ce qu’un organiste est obligé de jouer à l’église pour gagner sa vie?
Oui, la plupart du temps. Mais si on manœuvre bien, en jouant pour les cultes protestants et catholiques, on peut en vivre à peu près correctement.
Pourquoi être partie à New-York?
J’ai commencé mes études de musique au Conservatoire de Genève, mais suis ensuite partie aux Etats-Unis en 1970 pour élargir mon horizon personnel. Et surtout me libérer de l’esprit suisse, trop modeste, si besogneux qu’à la fin on en crève… J’ai étudié à l’American Guild of Organists. On y pratique un système de concours assez exigent. J’ai obtenu la moitié du doctorat. Je suis rentrée en Suisse en 2004, mais je m’y rends encore trois à quatre fois par année.
Quel conseil donneriez-vous à une jeune personne qui souhaiterait devenir organiste?
Qu’elle développe une vision personnelle. Il ne faut notamment pas avoir peur d’adapter le langage liturgique au XXIe siècle. Quant au répertoire ancien, il est magnifique, mais on doit aussi jouer ce qui nous rapproche du monde d’aujourd’hui. Au théâtre, jouer uniquement du Molière serait très beau, mais un peu déconnecté, non?
Carte blanche nationale pour les paroisses
C’est la première année où les cantons romands ont largement joué le jeu. Grâce à la collaboration des Eglises catholique, catholique-chrétienne et réformée, La Nuit des Eglises, manifestation née en Autriche, célébrera sa cinquième édition suisse le 23 mai. Dans le canton de Fribourg, qui participe pour la deuxième fois, 157 activités, d’une «paroisse quizz» à Villaz-Saint-Pierre à une visite de la Collégiale d’Estavayer-le-Lac ou encore un spectacle participatif sur la mixité religieuse à la salle de la paroisse Saint-Pierre à Fribourg. Du côté de Genève, qui participe pour la première fois, 64 propositions, dont un concert de chants gospel traduits en français par Marguerite Yourcenar à la cathédrale Saint-Pierre. Dans le canton de Vaud, 9 activités, dont une nuit au Cloître d’Aigle sous forme de camping pour les enfants. Enfin, les cantons associés de Berne et du Jura totalisent à eux deux 368 activités, dont une soirée intitulée «A mourir de rire!», où sera proposée une projection de films muets accompagnés en musique à l’orgue, et une performance de la désormais célèbre troupe de «La comédie musicale improvisée».
La Nuit des Eglises, le 23 mai. Blind test au temple Farel de La Chaux-de-Fonds lors d’une soirée jeux de 18h à 22h30. Plus d’infos sur: www.nuitdeseglises.ch